M. Jean-Luc Mélenchon. - Plusieurs États qui ont ratifié la Charte ne reconnaissent pas les mêmes langues minoritaires, alors même qu'elles sont pratiquées sur leur territoire. Ainsi, le yiddish est reconnu comme langue minoritaire aux Pays-Bas, mais pas en Allemagne...
Une définition aussi floue de ce qu'est une langue régionale ou minoritaire est discriminatoire et aboutit à des reconstructions de l'histoire. La langue bretonne est celle qui résulte du dictionnaire dit unifié de 1942, qui se substitue aux cinq langues bretonnes existantes. Je n'évoquerai pas son auteur, collaborateur qui fut condamné à mort par contumace, ni les conditions dans lesquelles ce dictionnaire fut rédigé et financé à l'époque...
De même, lorsque j'étais ministre, j'étais prêt à prévoir un enseignement en créole, car cela facilitait l'apprentissage : au bout de trois ans, on n'avait toujours pas déterminé quel créole devait être enseigné ! On est amené à choisir, trier, discriminer à nouveau... Ce n'est pas pour rien que nos institutions écartent ce type de charte !
Je ne dis pas que les langues et les cultures régionales conduisent nécessairement à la sécession et au communautarisme, mais le risque existe. On ne crée pas de droits particuliers pour une catégorie particulière de citoyens du fait d'une situation particulière. Le fait de parler une langue différente ne peut pas instituer des droits particuliers pour ses locuteurs. Or la Charte oblige les États à « faciliter et encourager l'usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée ». Le caractère laïc de notre République interdit que l'État fasse quelque recommandation que ce soit concernant la vie privée. La Charte engage les États à « prendre en considération les besoins et les voeux exprimés par les groupes pratiquant ces langues » : ce texte concerne manifestement des pays où une partie de la population parle exclusivement une autre langue, comme les minorités hongroises dans certains pays de l'Union, mais pas les Français ! Comment désigner des représentants des locuteurs ? Va-t-on les élire ? C'est totalement contraire à l'idée de l'égalité républicaine.
Que dire du droit à bénéficier de procédures judiciaires, administratives ou devant les services publics en langues régionales ? Témoigner, poursuivre en justice, conclure un contrat dans une langue autre que le français serait un recul par rapport à l'ordonnance de Villers-Cotterêts !
Le Conseil constitutionnel a eu raison de dire en 1999 qu'« en conférant des droits spécifiques à des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l'intérieur de territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées, cette Charte porte atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français. »
On a vu les raisons de droit, les raisons philosophiques, les raisons républicaines.
Après Samuel Huntington et sa théorie du choc des civilisations, qui est aujourd'hui la théorie officielle d'un certain nombre de stratèges de la première puissance du monde et de quelques autres pays, on ne saurait méconnaître l'origine de cette charte en 1992. Sans doute, nombre de mes collègue l'ignorent : elle a été préparée, débattue et rédigée par plusieurs groupes de travail du Conseil de l'Europe, animés par des parlementaires autrichiens, flamands et allemands tyroliens qui ont en commun d'être issus de partis nationalistes ou d'extrême droite et de faire partie de l'Union fédéraliste des communautés ethniques européennes, soit, en allemand, Fuev. Cette organisation, dotée d'un statut consultatif au Conseil de l'Europe, se présente elle-même comme la continuatrice du Congrès des nationalités, instrument géopolitique du pouvoir allemand dans les années 1930. Un des principaux laboratoires de la Charte fut ainsi le groupe de travail officiel du Conseil de l'Europe obtenu par la Fuev sur « la protection des groupes ethniques », groupe d'étude également connu pour ses travaux sur le droit à l'identité, le
Volkstum.
Pour toutes ces raisons, la République française n'a rien à gagner à modifier sa Constitution pour ratifier la Charte des langues régionales. Elle ne pourrait que se renier en le faisant. Elle doit, tout au contraire, continuer sa politique bienveillante et intégratrice qui fait que les cultures et les langues régionales ont toute leur place dès lors que la République est première chez elle. (Applaudissements sur divers bancs socialistes et centristes)
M. Raymond Couderc. - Je me suis demandé, il y a quelques instants, si notre discussion portait sur la ratification de la Charte ou sur la place des langues régionales dans notre pays. (Sourires)
Je tiens, tout d'abord, à remercier le Gouvernement pour ce débat sur la place des langues régionales dans notre pays, sur lequel il s'était engagé en janvier lors de la discussion de la révision constitutionnelle avant la ratification du traité de Lisbonne.
Merci également à notre collègue Alfonsi d'avoir demandé au Gouvernement quelles suites il entendait apporter à la déclaration d'inconstitutionnalité par le Conseil constitutionnel de certaines clauses de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée à Budapest le 7 mai 1999.
Cette question méritait d'être posée, car la situation des langues régionales est très préoccupante dans notre pays. Elle est même catastrophique pour celles de ces langues qui n'ont pas la chance d'avoir une part significative de leur aire culturelle hors de France. C'est le cas du breton et de l'occitan que l'ONU a déclarées « langues en grand danger ». C'est pourquoi nous ne pouvons plus nous contenter du flou juridique actuel.
Ne pas défendre ces langues, ce serait causer la ruine d'une part importante de notre culture. Or, nous devons transmettre notre patrimoine linguistique et culturel et les langues régionales sont l'expression de cultures régionales riches et anciennes, qui sont constitutives du patrimoine de notre pays. Les étouffer, comme cela a pu être le cas par le passé, ce serait mutiler la France, ce serait la déposséder d'une partie de son héritage.
Je veux vous parler d'une langue qui m'est chère, l'occitan, d'autant que le Centre d'études occitanes est installé dans ma ville de Béziers. Cette langue n'a rien d'un patois, mot chargé de mépris. Non, sa sauvegarde est un enjeu majeur qui concerne la plus large aire culturelle des langues régionales : des vallées alpines italiennes jusqu'au Val d'Aran espagnol, en passant par la Provence, le Languedoc, la Gascogne, le Poitou et l'Auvergne. Les langues d'Oc ont longtemps été celles de la moitié de la France. Il s'agit d'une culture rayonnante. Il n'y a qu'à observer le foisonnement de l'oeuvre de Frédéric Mistral pour s'en convaincre, oeuvre qui a été couronnée par le prix Nobel de littérature en 1904.
La défense et la promotion des langues régionales sont une obligation internationale de la France. En effet, notre pays prône sur la scène internationale la nécessaire défense de la diversité culturelle dans le monde. Mais il ne suffit pas de le faire si l'on étouffe les langues historiques et autochtones sur son propre sol.
A l'image de ce qui a été fait sur la biodiversité, il faut mettre en oeuvre les politiques nécessaires à la sauvegarde de la diversité de l'esprit et de la culture.
M. Jean-Luc Mélenchon. - La France américanisée...
M. Raymond Couderc. - La France a réussi à faire admettre la défense de la diversité culturelle au niveau mondial. Ce fut une belle victoire mais, de ce fait, elle est devenue comptable de la diversité culturelle dont elle a la responsabilité. Nos langues et cultures sont un patrimoine de l'humanité et nous en sommes responsables, au même titre que le Château de Versailles ou le Mont Saint-Michel.
L'État et les collectivités locales doivent davantage s'impliquer dans la défense de la diversité linguistique. Cependant, de nombreux blocages juridiques ne permettent pas d'attribuer un véritable statut aux langues régionales, nuisant ainsi à leur promotion et à leur diffusion. Ces langues sont souvent moins bien traitées que les langues étrangères, notamment dans l'enseignement. Contrairement à ce qu'en disent ses détracteurs, l'apprentissage des langues régionales ne se fait pas au détriment des langues étrangères : toutes les études de psychopédagogie démontrent en effet que l'apprentissage d'une langue régionale conduit au plurilinguisme. De même, les enfants doivent être éveillés aux langues régionales dès la maternelle et le primaire, au-delà de ce qui se fait déjà dans les
calendretas dont je tiens à saluer le rôle dans la promotion et la diffusion de la langue occitane.
Afin de relever ce grand défi, les langues historiques de France ont besoin d'un véritable statut. Les langues qui constituent l'identité de la France doivent être reconnues et distinguées de l'ensemble de celles qui sont langues de l'immigration.
L'absence de statut juridique justifie de nombreux blocages. Ainsi, récemment, un recteur pourtant bien disposé à l'égard des langues régionales justifiait l'interdit de l'immersion en disant que si elle était accordée, il faudrait aussi la permettre pour le chinois, l'arabe et le turc. Mais le destin de ces langues ne se joue pas en France, contrairement à celui de l'occitan et des autres langues régionales !
Un grand nombre de blocages sont également issus de la rédaction de l'article 2 de notre Constitution. Depuis sa modification de 1992, il est dit que « la langue de la République est le français ». Il ne s'agit en rien de contester cette affirmation. La langue de la République est et doit rester le français, dans un souci d'unité territoriale. En revanche, je m'élève contre les seize années d'interprétations très restrictives de cet article par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État, comme le refus de la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires ou l'interdiction de l'enseignement bilingue en immersion. Ces décisions sont la marque d'une rigidité anachronique, alors que le pluralisme linguistique a été reconnu dans le monde comme une des sources majeures de la richesse des sociétés.
Le défi de la République n'est plus d'unifier un pays morcelé, pour le fondre dans une destinée commune comme cela était nécessaire lorsque les États-Nations achevaient leur construction en Europe. Non, le défi aujourd'hui est de promouvoir la diversité, sous toutes ses formes, afin que chacun puisse retrouver dans le socle commun de la Nation française les racines de son identité. On ne fédère pas en méprisant, on unit en associant, en assemblant.
Au moment où l'idée même de Nation semble remise en question, gageons que le respect des identités de chacun contribuera au renouveau de notre grande Nation. (Applaudissements à droite)
présidence de Mme Michèle André,vice-présidente
Mme Gélita Hoarau. - Un sondage a démontré que 82 % de la population réunionnaise utilisaient le créole. C'est d'ailleurs cette langue qui a cimenté l'unité de cette île alors que des populations d'Europe, d'Asie et d'Afrique venaient toujours plus nombreuses s'y établir. Depuis, le créole s'est maintenu non sans avoir subi des évolutions, des transformations et des enrichissements multiples. Une précision : il n'existe pas une seule langue créole, chaque île possède sa langue créole. (M. Mélenchon le confirme) Ainsi, les Seychelles et l'île Maurice utilisent leur propre créole.
Cela n'a pas été sans mal car, comme le disait Aimé Césaire, la politique imposée aux esclaves et aux colonisés a été non seulement la domination et la sujétion, mais aussi la destruction des cultures : « Je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, de cultures piétinées, d'institutions minées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d'extraordinaires possibilités supprimées ».
Combien de fois n'a-t-on pas entendu dire que la langue créole, voire tel ou tel aspect de la culture de pays subissant la colonisation, étaient inférieurs à ceux de l'Occident ? Des ressortissants de contrées colonisées ont parfois repris à leur compte ces jugements définitifs, reniant ainsi leur propre identité culturelle.
A La Réunion, la chasse à la langue créole faisait partie de la politique officielle tant sur le plan administratif que dans l'éducation nationale.
Le mot d'ordre d'un vice-recteur n'était-il pas, il n'y a que trente ans : « Il faut fusiller le créole » ? Persister en ce sens susciterait une réprobation unanime tant il est admis aujourd'hui qu'il n'existe aucune échelle de valeur pouvant classer les cultures selon d'illusoires critères de supériorité. Chacun de nous sait trop bien où cela a conduit l'Europe dans les années 1940.
De plus, à l'heure où l'on tente de sauvegarder la biodiversité, comment admettre que la culture d'une société humaine puisse disparaître ? Trop de langues, trop de cultures ont déjà été anéanties. La diversité culturelle enrichissant le patrimoine de l'humanité, nous devons en sauvegarder et en valoriser toutes les expressions tant il est vrai que la culture unique précède la mort de toute culture.
A la Réunion, l'entrée du créole à l'école a toujours été un sujet de polémique et de déchirements. Certains estiment qu'il est un obstacle à l'apprentissage du français et doit donc être réprimé ; les autres considèrent que la prise en compte du vécu de l'enfant réunionnais dans tous ses aspects socioculturels -dont sa langue maternelle- contribue au contraire à son plein épanouissement et favorise ses apprentissages, notamment celui de la langue française. Ceux-là insistent donc sur les traumatismes que peut susciter la répression de la langue maternelle.
La loi organise maintenant l'enseignement et le développement de la langue et de la culture régionales. C'est une avancée indéniable qui fera évoluer les esprits. Mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Il y a quelques jours, un principal de collège a interdit à l'un de ses élèves de s'exprimer en créole à la télévision publique alors même que cette émission se faisait entièrement dans cette langue. La mise en application des textes se heurte encore trop souvent soit à l'inertie, soit à des réflexes passéistes, quand il ne s'agit pas tout simplement de mauvaise foi. Sans doute vous-même ne manquerez pas, madame la ministre, avec votre collègue de l'éducation nationale, de faire à ce sujet un point d'étape de manière à surmonter les pesanteurs et à encourager les initiatives entreprises.
Sans doute conviendrons-nous tous que la reconnaissance et la valorisation de la diversité culturelle ont besoin d'un souffle nouveau. En 1992, la planète a eu droit à son sommet à Rio ; la diversité culturelle n'en mérite pas moins. Il serait à l'honneur de la France d'en prendre l'initiative, Elle aura d'autant plus de légitimité à l'organiser, elle qui possède déjà une grande diversité, qu'elle aura pleinement reconnu les apports culturels spécifiques et uniques de toutes ses régions, et des DOM-TOM en particulier. (Applaudissements à gauche)