Mme Marie-Lou Marcel – En outre, ce sont des régions
socialistes – l’Aquitaine, le Midi-Pyrénées et le Languedoc-Roussillon
– qui viennent de voter des plans de développement de la langue et de
la culture occitane… (Protestations sur les bancs du groupe UMP)
M. Yves Censi – C’est faux ! Il y en avait avant et des régions de droite l’ont également fait !
Mme Marie-Lou Marcel – …dans un climat consensuel, transcendant les clivages politiques.
En apprenant et en diffusant l'occitan, on ne fait donc preuve ni de
nostalgie ni d’archaïsme. Les touristes et les hommes d'affaires en
voyage à Barcelone y constatent du reste qu’en pratiquant la langue
d’oc, on accède immédiatement au catalan. Ainsi se vérifient les
intuitions exprimées dès 1911, à l’occasion d'un voyage à Lisbonne, par
le grand socialiste…
Un député du groupe UMP – Sectaire !
Mme Marie-Lou Marcel – …, également révéré au-delà de notre
seule famille politique, qu’était Jean Jaurès. « Quelle joie et quelle
force pour notre France du Midi si, par une connaissance plus
rationnelle et plus réfléchie de sa propre langue et par quelques
comparaisons très simples avec le français d'une part, avec l'espagnol
et le portugais d'autre part, elle sentait jusque dans son organisme la
solidarité profonde de sa vie avec toute la civilisation latine ! »,
écrivait-il ainsi dans La Dépêche du Midi le 15 août 1911.
M. le Président – Veuillez conclure.
Mme Marie-Lou Marcel – Mais les mesures indispensables en
matière d'enseignement, de diffusion médiatique et d'aide aux créations
littéraires et artistiques doivent être précédées et fondées par un
statut légal, très attendu. Mme Massat et M. Nayrou s’associent à ce
constat. J’espère donc que notre proposition d’amender l'article 2 de
notre Constitution suscitera un large assentiment (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC).
M. Jean-Pierre Decool – Permettez-moi tout d’abord de me
féliciter que, dans cet hémicycle, mon patronyme flamand soit toujours
correctement prononcé ! Je me réjouis également de l’organisation de ce
débat sur les langues de France, le premier de la Cinquième République
sur le sujet, car il est essentiel que la représentation nationale
s’intéresse à cette composante majeure de notre société. En effet, en
évoquant les langues patrimoniales, nous insistons sur la richesse
culturelle de notre pays, nous défendons les particularités qui font la
diversité de l'Hexagone et nous tenons compte du besoin qu’éprouvent
les Français de définir leur identité et de retrouver leurs racines.
Il ne s’agit naturellement pas de céder à une tentation régionaliste
ou intégriste. Au contraire, c’est la diversité culturelle et
linguistique de la France qui fait sa richesse et son unité, et les
langues régionales contribuent fortement à la promotion des terroirs
locaux et au développement économique de nos régions, notamment des
zones transfrontalières : l’activité festive et touristique de ces
territoires doit beaucoup aux outils d’échange que constituent les
langues dites minoritaires.
Député de Bergues, dans les Flandres, je rappelle que, dans le Nord,
beaucoup de nos concitoyens parlent encore le flamand et y demeurent
très attachés, non par séparatisme, mais par plaisir, et parce qu’ils y
voient un symbole de l’identité flamande, composante de l'identité
française.
Ainsi, en quatre ans, le nombre d’élèves assistant aux cours de
flamand dispensés par l'Institut de la langue régionale flamande – créé
en 2004 pour promouvoir et développer ce patrimoine – a été multiplié
par cinq. En outre, un centre de ressources documentaires flamand,
installé au sein d’un centre culturel et ouvert à tous, a vu le jour à
Steenvoorde, grâce à l'action conjointe de l'Institut et de Jean-Pierre
Bataille, conseiller régional et maire de la ville. Et, dans plusieurs
villages de ma circonscription, les plaques de rues sont libellées dans
les deux langues. Ainsi, à Brouckerque, les lieux-dits ne se prononcent
qu’en flamand !
Il faut aussi rappeler la complémentarité entre la pratique de la
langue régionale flamande et celle du néerlandais. Pour accompagner ces
initiatives, une loi est nécessaire, qui doit définir un cadre,
clarifier la situation des langues régionales et reconnaître leur
apport en termes de diversité culturelle. Après les premières assises
des langues régionales de France de 2003 – il est urgent d'organiser
une seconde session – les associations attendent l’égalité de
traitement entre les différentes langues de France, mais aussi la
reconnaissance de l'existence des langues régionales en dehors de
l'école. Nous attendons aussi un encouragement de l'enseignement
bilingue avec des moyens concrets dans les milieux scolaires et
associatifs. De telles avancées permettraient de valoriser notre
patrimoine et donneraient un écho particulier au mot « égalité » qui
figure dans notre devise, inscrite sur les frontons de toutes les
mairies de France et énoncée à l'article 2 de notre Constitution, qui
précise aussi que la langue de la République est le français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe SRC).
Mme Christine Albanel, ministre de la culture – La
vigueur, la conviction, l’inspiration parfois très personnelle de vos
interventions témoignent de la place qu’occupe la question des langues
régionales qui, au-delà des institutions et des milieux spécialisés,
intéresse l’ensemble des Français. Ils attendent des réponses claires.
Le Gouvernement ne souhaite pas s’engager dans un processus de
révision constitutionnelle pour ratifier la Charte européenne des
langues régionales et minoritaires, et cela tout d’abord pour des
raisons de principe. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du
15 juin 1999, avait en effet relevé que la ratification de la Charte
supposait l’adhésion à son préambule, aux dispositions générales et à
ses objectifs et principes, qui ne sont pas dépourvus de toute portée
normative. La ratification de la Charte implique la reconnaissance, qui
n’est pas seulement symbolique, d’un droit imprescriptible de parler
une langue régionale, notamment dans la sphère publique. Ce droit, qui
figure explicitement dans son préambule, est, comme l’a souligné le
Conseil, contraire à des principes constitutionnels aussi fondamentaux
que l’indivisibilité de la République, l’égalité devant la loi et
l’unité du peuple français. Le problème va donc au-delà de
l’articulation de la Charte avec l’article 2 de la Constitution : cette
ratification engagerait notre noyau dur constitutionnel, qui interdit
de conférer des droits particuliers à des groupes spécifiques, et qui
plus est sur des territoires déterminés. D’ailleurs, l’expression de
« minorité linguistique », qui tend à faire penser à des minorités
opprimées, me paraît contraire à la philosophie et à la réalité de
notre République.
D’autre part, personne ne pourrait défendre l’idée d’une
administration obligée de s’exprimer aussi dans la langue d’une région
donnée, et qui recrute des fonctionnaires qui la maîtrisent, afin de
faire droit à des revendications légitimées par la charte. Ce serait
l’une des conséquences logiques possibles de la ratification.
Mme Marylise Lebranchu – Mais non !
Mme Christine Albanel, ministre de la culture – Le
gouvernement signataire de la Charte en 1999 l’avait bien compris, qui
avait assorti sa signature d’une déclaration interprétative. Mais qui
nous assure qu’une autre interprétation ne sera pas faite ? Vous me
direz que nos grands voisins, comme l’Espagne, l’Allemagne ou la
Grande-Bretagne ont ratifié la charte.
Mme Marylise Lebranchu – Absolument.
M. Yves Censi – Vous étiez garde des Sceaux, à cette époque !
Mme Marylise Lebranchu – C’est le président Chirac qui m’a empêché de ratifier !
M. Yves Censi – Et qui était Premier ministre ?
M. le Président – Je vous en prie, seule Madame la ministre a la parole.
Mme Christine Albanel, ministre de la culture – Mais il faut convenir que la forme de l’État y est différente, de même que la place des langues régionales.
La question de la langue a toujours revêtu une dimension
particulière dans notre histoire institutionnelle et politique, depuis
que l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 a imposé au Parlement et
aux tribunaux l’usage du français contre le latin. Il n’est donc pas
étonnant que notre langue occupe une place symbolique dans notre socle
de références communes. Par ailleurs, la ratification supposerait de
clairement identifier les langues auxquelles le texte aurait vocation à
s’appliquer. Selon le groupe de travail qui s’était appliqué à les
recenser en 1999, il y en aurait quelque 79, dont 39 outre-mer. En
métropole, cela inclut l’ensemble des langues concernées par la loi
Deixonne – basque, breton, catalan, gallo, langue mosellane, langues
régionales d’Alsace et langues d’oc – auxquelles s’ajoutent notamment
le flamand occidental, le franco-provençal et les langues d’oïl, ainsi
que cinq langues parlées par des ressortissants français sur notre
territoire : berbère, arabe dialectal, yiddish, romani, arménien
occidental. On mesure donc la difficulté pour la France de fixer le
périmètre d’application de la Charte, qui ne donne pas d’indication sur
les critères d’éligibilité, comme un nombre minimum de locuteurs par
exemple. Le risque de dispersion des moyens serait réel, au détriment
des langues les plus représentatives.
Mme Marylise Lebranchu – Bon, on peut rentrer à la maison…
Mme Christine Albanel, ministre de la culture – La
charte a la particularité d’offrir des options : les États qui y
adhèrent s’engagent à respecter, outre les principes et objectifs
généraux, au moins 35 de ses 98 mesures. La France a sélectionné lors
de sa signature 39 engagements, dont celui de rendre accessibles dans
les langues régionales minoritaires les textes législatif nationaux les
plus importants. Cela représenterait un coût très important pour
l’État, proportionnel au nombre de langues retenues. Cette obligation
concernerait les textes à venir mais aussi actuels, et entraînerait une
sélection forcément subjective des textes les plus importants. Quant
aux collectivités territoriales, elles ne seraient certes pas obligées
de traduire leurs textes, mais leur refus pourrait sans doute être
contesté devant les tribunaux sur le fondement du droit imprescriptible
à parler une langue régionale que reconnaît le préambule de la charte.
Ratifier la Charte serait donc contraire à nos principes.
L’appliquer serait difficile et coûteux et d’une portée pratique pour
le moins discutable. Elle n’apporterait au mieux qu’une réponse
symbolique à la question bien réelle de mieux faire vivre les langues
régionales dans notre pays. Car notre refus de ratifier n’est pas du
tout incompatible avec la promotion et la protection du pluralisme
linguistique : il faut veiller à ne pas opposer les langues régionales
à la langue de la République. La singularité française se nourrit de la
richesse de nos territoires, et les langues régionales font partie de
notre patrimoine commun. Reconnaître la diversité linguistique, ce
n’est pas nécessairement reconnaître des droits spécifiques et
imprescriptibles à leurs locuteurs dans la sphère publique : c’est
d’abord encourager leur usage, permettre leur enseignement à chaque
fois que les familles le demandent et favoriser leur expression
culturelle, artistique et médiatique sur tout le territoire.
À cet égard, nous aurions avantage à y voir plus clair dans les
textes actuels. Le Conseil constitutionnel montre la voie : ne sont
contraires à la Constitution aucun des engagements souscrits par la
France, dont la plupart se bornent à reconnaître des pratiques déjà en
œuvre. Le Conseil ouvre ainsi une très large marge de manœuvre qui est
à mon sens insuffisamment exploitée. En réalité, de nombreuses
dispositions législatives existent déjà dans les cinq domaines énumérés
par la Charte : médias, activités culturelles, échanges
transfrontaliers, justice, et autorités administratives et services
publics. Je rappelle qu’aucune disposition n’interdit à une
collectivité locale de traduire ses propres délibérations – ce qui
constitue une nuance importante avec l’obligation de traduction. De
même, rien n’empêche de mettre en valeur les bonnes pratiques et de
conforter les territorialisations existantes, dans le respect des
valeurs républicaines. Le principe de la demande des familles étant
clairement posé, nous pourrions développer des conventions avec les
collectivités locales et les associations, à l’image de celles qui
régissent l’enseignement et la promotion de la langue basque dans les
Pyrénées atlantiques, avec le très remarquable office public de la
langue basque.
Mais si les dispositions légales et réglementaires existent, il est
vrai qu’elles sont insuffisamment connues et qu’elles constituent un
véritable maquis. Ce dont nous avons besoin donc, c’est d’un cadre de
référence. Le Gouvernement vous proposera un texte de loi, ainsi que le
Président de la République en avait émis l’idée lors de la campagne
électorale, qui pourra récapituler l’existant et entrer dans le
concret, dans le domaine des médias – on a évoqué les problèmes posés
par le passage au numérique par exemple – de l’enseignement, de la
signalisation ou encore de la toponymie. Ce texte ne devrait pas trop
tarder à vous être présenté.
Voilà l’approche du Gouvernement pour accroître la place des langues
régionales sur notre territoire et garantir leur vitalité : permettre
plutôt que contraindre, inciter et développer plutôt qu’imposer. Il
s’agit d’ouvrir un espace d’expression plus large aux langues
historiquement parlées sur notre territoire – bref, de favoriser
l’exercice d’une liberté d’expression. Nous la garantirons dans le
respect de nos principes fondamentaux et du rôle primordial du
français, notamment en matière d’apprentissage – le Premier ministre a
rappelé dans le rapport au Parlement sur l’emploi de la langue
française qu’elle est au plus profond le lien qui nous rassemble autour
des valeurs de la République. Il n’est naturellement pas question de
transiger sur le statut du français, mais personne d’entre vous ne le
demande…
En donnant une forme institutionnelle à la notion de patrimoine
linguistique, en inscrivant dans la loi la diversité linguistique
interne, nous conforterons la bataille que nous menons en Europe et
dans le monde pour favoriser le multilinguisme et la diversité
culturelle. Les régions qui ont les plus fortes identités linguistiques
sont en effet souvent celles qui sont les plus à l’aise dans la
mondialisation.
Plusieurs députés du groupe UMP – C’est vrai !
Mme Christine Albanel, ministre de la culture – Souvent,
les enfants qui maîtrisent une langue régionale sont mieux armés pour
parler d’autres langues. Je ne doute pas que le Parlement, renforcé
dans ses pouvoirs par la réforme des institutions, prendra toute sa
part à l’élaboration de cette loi. D’ailleurs, j’ai entendu aujourd’hui
nombre d’idées et de suggestions précises tout à fait intéressantes qui
montrent le degré de son engagement sur cet important sujet (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. le Président – Le débat est clos.